Portrait d’auteur
Raymond Schaack, celui dont la langue est un stradivarius
Les textes de Raymond Schaack, poèmes et prose confondus, émettent des feux continus, sont étincelles sous la voûte de l’existence. La muse accompagne, compagne fidèle de notre poète, l’encre vive qui sur la feuille blanche va poser délicatement des mots qui jonglent avec les images, avec les bruits, les musiques. Ces éclats de voix, commis par Schaack, se glissent dans les interstices les plus intimes, les plus fragiles aussi, de notre perception.
L’écriture de Raymond Schaack est riche, imprégnée d’images, de pensées philosophiques, dont certaines restent gravées dans la mémoire des lecteurs et lectrices.
Les textes et poèmes de l’auteur nous emportent dans des dimensions qui lui ont permis, pour finalement nous permettre, une évasion bienfaisante, motivant des réflexions, des mûrissements, des recherches sur l’essence de l’existence, sur les dimensions de nos consciences.
Pierre Schumacher, Président de la section des Arts & des Lettres de l’Institut Grand-Ducal, illustrateur du livre Voyages dans l’imaginaire de Raymond Schaack, publié aux Editions Saint Paul a écrit à propos de son ami : « Raymond Schaack est le maître de la langue française qu’il domine au niveau de la syntaxe, de la grammaire, de l’orthographe. Cette langue est son stradivarius dont il joue avec une précision et une intelligence extrêmes pour nous introduire dans le monde de l’imaginaire et de l’incertain. Il nous invite à rêver les yeux ouverts. Il nous invite au voyage à la suite de Charles Baudelaire. »
Fils du juge Paul Schaack, Raymond Schaack est né à Luxembourg le 30 septembre 1936. Le père nommé à Clervaux, la famille s’installe dans cette contrée de forêts profondes et d’idéale nature. C’est à Urspelt que Raymond passera toutes ses vacances d’été avec son frère Marc, dans la famille Kremer. Nos Ardennes ont marqué, façonné et nourri l’imagination de celui qui deviendra un auteur particulièrement proche de la nature, des animaux, des arbres, des fougères, des paysages, de l’humain, bref un poète qui dit l’essentiel à l’aide d’une langue agréable et mélodieuse.
En 1945, Paul Schaack sera nommé substitut à Luxembourg. Ce sera alors la ville pour la famille Schaack.
Après des études secondaires au Lycée de Garçons de Luxembourg, ce seront des études à la Sorbonne à Paris, en vue de l’obtention d’un doctorat en philosophie et lettres. Jusqu’en 2000, il sera professeur au Lycée de Garçons de Luxembourg.
Aujourd’hui, le fier grand-père de deux petits-enfants, Maurice et Laurence, vit à Luxembourg, où il entretient avec passion son jardin, un jardin qui lui permet des évasions philosophiques que l’on croisera dans maints de ses écrits.
La dimension philosophique des écrits de Raymond Schaack est grande, elle est décelable dans les moindres de ses textes, omniprésente.
C’est en sa qualité de Président de l’Association des Professeurs de l’Enseignement Secondaire et Supérieur, qu’il a été l’instigateur de la première grève des fonctionnaires luxembourgeois contre l’Etat Luxembourgeois, afin de forcer la main pour qu’enfin soit construit le Lycée Michel-Rodange, si nécessaire et utile. De cette action il est resté nostalgique et il en est particulièrement fier.
C’est son ami l’architecte, penseur et auteur Pierre Schumacher qui l’a poussé à publier ses écrits. Nous sommes alors en 1986. Ce sera le début de toute une liste de publications comportant souvenirs d’enfance à Clervaux, poèmes en français, contes fantastiques, poèmes en allemand, récits policiers, réflexions, souvenirs, pensées. Ci-après la liste de ses publications : Miniatures, Editpress ; Eisléker Erënnerungen , Saint Paul ; Le Luxembourg, Romain Pages, Paris ; Blieder, Saint Paul ; Stater Stëbs, Saint Paul ; Onyx, Saint Paul ; Verwonsche Welten, Saint Paul ; Runen, Saint Paul ; Studente Spunten a Stagiären ; E fall fir de Charel, coécrit avec son fils Luc, Saint Paul ; L’ABC en vadrouille, Saint Paul ; September, Saint Paul ; Das Atmen des Steins, Saint Paul ; Nei Fäll fir de Charel, coécrit avec son fils Luc, Saint Paul ; Voyages dans l’imaginaire, Saint Paul.
De nombreux artistes ont illustré les publications de l’auteur : Ota Nalezinek, Patricia Lippert, Marc Chagall, Dany Prum, Mark Theis, Pierre Schumacher.
Raymond Schaack publie régulièrement des critiques littéraires, des poèmes, ainsi que des réflexions dans différentes revues. Dans le N° 1/2012 de « Nos Cahiers » je viens de découvrir douze de ses plus beaux poèmes.
Une œuvre féconde et nourrissante
Raymond Schaack avoue que pour nombre d’humains, faire un voyage implique le déplacement vers un pays étranger, de préférence lointain. Aujourd’hui, surtout pour les jeunes, notre globe est devenu un grand village où les distances ne jouent plus aucun rôle et l’on passe d’un pôle à l’autre en un tournemain. Alors qu’on ignore où se situe Troisvierges, on n’hésite guère à donner les coordonnées exactes de Tombouctou que d’ailleurs on a déjà visité en passant. Pourtant, grâce à la lecture à laquelle viendra s’ajouter une imagination fertile, on peut visiter bien des pays lointains sans sortir de son fauteuil. Avec son nouveau livre, Raymond Schaack nous invite à effectuer des voyages dans l’imaginaire, des voyages illimités dans le temps, illimités dans l’espace.
Le dernier livre de l’auteur, publié aux Editions Saint Paul sous le titre Voyages dans l’Imaginaire, contient vingt et un contes. La publication est illustrée par des aquarelles de Pierre Schumacher, des aquarelles qui soutiennent l’auteur dans sa démarche, dans sa quête et qui permettent au lecteur de reposer son esprit et de vagabonder au gré de sa propre fantaisie, de l’imaginaire qu’il recèle au plus profond de sa personne. Les aquarelles de Pierre Schumacher sont nées du fruit du hasard dont l’intelligence conceptuelle est tout à fait absente. Elles sont reproduites sur une feuille plane, enfermées entre deux pages. Elles évoquent un espace dans lequel le spectateur se déplace comme un plongeur habillé d’un scaphandrier qui lui, est équipé de lunettes déformantes. Ce nageur ébloui découvre un monde étrange que peuplent des algues lancinantes, des organes qui se gonflent suivant un rythme cardiaque lointain, des animaux fantasmagoriques, des unicellulaires… un monde qui se gonfle et se rétrécit à la cadence de la respiration d’un monstre abyssal. Ces aquarelles ne sont pas des illustrations des textes de Raymond Schaack, mais elles permettent au lecteur de reprendre son souffle entre deux Voyages dans l’Imaginaire.
Je vous propose une immersion dans la prose de Schaack avec un extrait de son dernier opus :
La prison : Voilà plus de soixante-dix ans qu’il croupissait dans cette prison. Condamné à vie : condamné à vivre ? Combien de temps encore ? Ni lui ni ses geôliers n’en savaient rien. Toutes les lettres et suppliques adressées à la direction de l’établissement étaient restées sans réponse. D’ailleurs, au long des années, il n’avait jamais vu le directeur en personne. Tout au plus avait-il, en de rares occasions, pensé apercevoir dans la cour une ombre majestueuse qui – chose paradoxale, sinon même inouïe – paraissait lumineuse au point de ternir le soleil. / …
…/ P. avait lui aussi profité de cette aubaine. Il avait vu ce que derrière les murs de la prison on se plaisait à appeler « le monde ». Mais, réaliste, pessimiste, ou tout simplement philosophe, il s’était mis à douter de la liberté apparente qui régnait au sein de ce monde extérieur. A y regarder de près, l’administration pénitentiaire y exerçait tout aussi bien son pouvoir que derrière les murs de la prison. Partout P. reconnaissait sa griffe. Le cadre changeait, mais les règles restaient les mêmes.
Cette constatation désabusée produisit chez P. un choc. Désormais il se désintéressa du monde extérieur et tenta d’explorer les galaxies de son esprit. Sur elles l’administration ne semblait pas avoir de prise directe, mais qui savait ? En effet, P. se rendit vite compte qu’ici aussi ses possibilités étaient fort réduites. Est-ce que la direction faisait administrer aux prisonniers ici quelque drogue qui limitait leurs facultés intellectuelles, ou bien cette imperfection, sinon même déficience mentale était-elle innée ? En tout cas, l’homme essayait de vaincre au mieux ce handicap, et partait régulièrement pour des voyages fabuleux.
Avec son livre L’ABC en vadrouille, illustré par Mark Theis, publié chez Saint Paul, on saisit sa veine sociale, une veine sociale palpable qui surgit ci et là, souvent en tout cas. Ainsi, lorsqu’il parle, sans retenue, sans complaisance, de l’attitude d’un bien trop grand nombre de patrons, qui n’hésitent pas à dire des choses désagréables aux ouvriers ou aux employés qui ne leur conviennent pas : « Monsieur, vous êtes un zéro, vous n’avez plus qu’à plier bagages et à rejoindre la horde des sans-emploi. ». Ce livre propose essentiellement une longue réflexion sur bien des sujets.
Notre poète considère qu’une thérapie efficace et peu coûteuse est le jardinage. Jardinage qu’il pratique avec sagesse, passion et délectation. Il sait parler du plaisir de voir la terre ouvrir ses flancs généreux aux caresses de la bêche. Enfant pourtant il détestait arracher les mauvaises herbes, activité qui n’était pas à son goût. Son grand-père parvint à le convaincre de l’utilité de ce travail.
Le père de Raymond Schaack aimait dire que les choses ont une âme, ainsi que des larmes. Le poète a faite sienne cette maxime.
Schaack est ami et observateur des arbres. Il les aime les, les comprend, les saisit dans leur profonde intimité. Il n’a évidemment pas tort de prétendre que chaque arbre possède sa propre personnalité. Dans L’ABC en vadrouille, l’auteur évoque nombre de souvenirs personnels liés aux arbres. Ainsi sa rencontrer avec un ginkgo biloba, espèce antédiluvienne de conifères à feuilles caduques qui a survécu aux millénaires dans l’une ou l’autre enceinte de temple japonais. Ou ce chêne, à Clervaux, le Kalebeemchen, dont une lubie de la nature a interrompu la croissance pour faire dévier la cime et lui faire prendre une direction horizontale toute terrestre.
L’ABC en vadrouille c’est aussi une somme de réflexions et de descriptions, philosophiques et poétiques, à propos des saisons, des barbares, des chemins, de l’éducation, des frontières, des gares, des hôtels, des îles, des jardins, des livres, des montagnes, des miroirs, des nuages, des ponts, des querelles, des rêves, des solitudes, des sourires ... ...
Une poésie d’une sensibilité exquise
Passionné de poésie, Raymond Schaack est passé maître dans la forme du Haïku. C’est aux Editions Saint-Paul qu’il a publié son recueil de Haïkus sous le titre Das Atmen des Steins.
La pierre respire, tout comme tout ce qui est nature, naturel.
Le poète parvient à éveiller, chez ses lecteurs, bien des forces intérieures, forces qu’il peut utiliser au quotidien, lorsque le poids de l’existence se fait trop pesant, pressant, envahissant.
Ainsi :
Der Regenbogen
baut eine Brücke zu den
Verstorbenen hin
Hoch in den Himmel
auf dem Regenbogen ziehn ?
Kindern gelingt es
Lotusblumen und
der Wind der darüber streicht
Kräuseln der Wellen
Die Blätter rauschen
Der Vögel Gesang verstummt
Ferner Donner grollt
Aux lectrices et lecteurs de notre quotidien le « Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek », Raymond Schaack est heureux d’offrir son poème inédit Automne.
Automne
Lorsque le lait des étoiles boréales
se déverse cryogène sur la nuit
un vent d’épices ambrées
enveloppe haies et futaies
Une aube d’alun
vorace de pétales
glisse sur les champs de miel
où le jour en déroute
fuit complice de notes
envolées.
Et toi dormeuse
sous la tente de ta
chevelure
tu rêves d’escorter
les colchiques
dont les flammes
diaphanes te guident
vers la forge rubescente d’automne.
Raymond Schaack, votre poésie est lumière, glaive. Vous êtes poète dans l’âme et le cœur. Votre poésie accuse un humanisme profond, une âme d’une sensibilité à fleur de peau.
Michel Schroeder