René Welter : « Feuillets de plomb », suivi de « À main courante »
Étrange recueil de poèmes, que nous offre là René Welter, dont c’est plus ou moins le quarantième bis. Rien que ça !? Normal, après tout. C’est que, peu après sa naissance, le 30 mai 1952, il est tombé dans la marmite de la poésie. Aussi le retrouve-t-on quelques lustres plus tard professeur au Lycée Technique Nic Biever et à l’Université du Luxembourg, auteur d’une thèse de doctorat consacrée au poète Paul Éluard, d’une quarantaine de recueils de poèmes et de nombreux articles dans Kulturissimo (supplément culturel et littéraire du Tageblatt). Il vit à Dudelange et dirige les Éditions Estuaires, dont j’ai déjà fréquemment présenté les ouvrages dans notre bonne vieille Zeitung.
C’est dire que, plus occupé à étudier, enseigner, présenter, lire et éditer la poésie des autres, faiseur de livres et de poètes, il ne se pousse pas pour occuper le devant de la scène littéraire. Je sais que c’est parfaitement injuste, mais je n’ai jamais lu (ni écrit) une critique de livre, où serait mentionné le directeur de la maison d’édition qui le publie. Quant aux éditeurs qui ont édité les précédents recueils de René Welter – je pense aux “Éditions Rougerie”, à “La Lettre Douce”, “La Porte”, “Alpha Presse” et aux “Éditions En Forêt” – on ne peut pas dire qu’ils fassent crouler les étals de nos libraires. Heureusement qu’avec ce petit recueil qui vient de paraître chez Phi (1), René a bien voulu de nouveau pointer sa plume hors des coulisses éditoriales et du monde de l’enseignement pour un passage en coup de vent sur la scène de l’écriture poétique. Le résultat est magistral : staccato de mots dans des poèmes aux vers dépouillés à la limite du non-paraître, scandés en un impitoyable battement de tambour à la Guérin (2), avec les tibias mi-calcinés de cette mémoire dont Dobzynski écrivit qu’elle était à revoir. (3)
Pas évident à suivre, toutefois, l’ami Welter, dont (ses évocations botaniques mises à part) la simplicité lexicale peut être trompeuse. Encore heureux qu’avant d’aborder ces « Feuillets de plomb » (aucun rapport avec les années de plomb), nous soyons invités à passer par la préface de Gaspard Hons. Ce remarquable poète sera notre Virgile dans les girons de la poétique welterienne. Quoi d’étonnant, quand on pense que j’écrivis il y a deux ans que ses paroles n’étaient pas toujours porteuses de leur sens le plus évident et que je m’en remettais aux Oedipes en herbe. (4) Eh bien, ici, grâce à ce même sphinx devenu guide, on voit non seulement pâlir quelques-unes des ombres voilant le communément discernable et s’ouvrir certaines portes, mais également ci et là affleurer les dessous de l’ébauche, du laissé-entendre. Difficile dès lors, amis lecteurs, que d’aller déchiffrer la poésie de René Welter sans lanterne. Gaspard Hons concède d’ailleurs dans son dernier paragraphe que « L’accès à la poésie de René Welter présente des difficultés réelles. Qu’on la lise avec la conviction que délivrée une fois pour toute des scories du langage, elle est incontournable et essentielle ».
L’essentiel, voilà le terme qui cerne au plus près le style de René ! Cependant, l’essentiel, dans son esprit, n’est plus que probablement pas celui du lecteur. Aussi, tout saisir de cette poésie quasi-entièrement faite de raccourcis, d’ellipses, de sous-entendus, d’allusions, de non-dits et qui se construit (ou se déconstruit) à partir des complexes cheminements de la pensée de l’auteur dans son vécu et son ressenti, tout saisir donc, reste une gageure. J’ajouterai donc qu’outre la clef que nous offre Gaspard Hons dans sa préface, un rossignol ouvrant le thésaurus poétique et historique de René Welter ne serait pas de trop. J’entends par là, que sa perception, sa mémorisation et son interprétation culturelle de la poésie et de l’histoire contemporaine lui étant aussi propres que ses empreintes digitales, une compréhension pleine et entière de sa poésie par ses lecteurs reste improbable. Mais est-elle seulement utile ? Nécessaire ? Indispensable ?
Je me demande si le lecteur ne serait pas somme toute mieux inspiré de se fier à son intuition, en évitant de croire à d’apparentes facilités ou fausses évidences et en se disant que, après tout, les non-dits l’auteur ont du bon : ils ne nous imposent rien, enfin, presque. C’est que le non-dit, le blanc donc, me semble essentiel dans ce genre de poésie, et plus encore dans celle de Welter que chez d’autres contemporains. N’écrivait-il pas déjà dans son recueil « Un mot à la limite » paru aux Éditions En Forêt en 2004 : « tu laisseras deux pages / dans le carnet à blanc / qui saura plus loin / que nous répondre / des mots à bout / portant réponse / à l’invisible ». Et, en effet, loin de constituer des lacunes, les blancs de René Welter représentent justement avec ses non-dits la part de liberté laissée (volontairement) au lecteur et (nécessairement) au futur. C’est aussi un peu – toute comparaison boîte, bien sûr – comme si le poète vous donnait le « la », la direction à suivre et ensuite quelques rares jalons, pour vous laisser poétiser quasiment à votre guise le long d’un chemin à peine balisé.
Évitez tout de même de perdre le guide de vue ! Car « René Welter n’est pas un poète de compromis là où ’humain est en question... », rappelle Gaspard Hons. Et il poursuit : « Peut-on choisir en-tre un chapelet de bombes, une feuille de paulownia, l’ar-bre de Judée, la détresse de vivre en terre sainte de pau-vreté ? René, le poète de la conscience et de l’éthique, s’adresse aux radiés de vivre, à ceux dont la peau de l’avant-bras continue à brûler... » Terribles paroles, où l’indélébile tatouage de naguère renvoie au phosphore de nos jours ! Et aussi « la pluie de plomb continue son cycle infernal ». Ai-je assez grappillé chez Gaspard, pensez-vous ? Sans doute ; mais permettez-moi juste encore cette phrase de sa préface : « L’expression poétique pour René Welter est avant tout un acte de mémoire et de résistance. Il dresse ses potences de mots contre l’oubli... » Mots brûlants qui dépeignent bien l’évocation René lorsqu’il écrit :
« ...
sous le coup
de la hache
qui
couvrira
le dernier
feu
une fois
brûlés
tous les ponts
qui pourra
encore
parler
sous peu
de cendres
en leur
nom »
***
1) Éditions Phi, 2009, en coédition avec Les Écrits des Forges, Collection GRAPHITI, 80 pages.
2) Alain Guérin : « Les dits du meunier », Éditions Le Temps des Cerises ; présentation Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 23.5.2006
3) Charles Dobzynski : « À revoir, la mémoire », Éditions Phi & Écrits de Forges ; présentation Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 4.7.2006.
4) Anise Koltz : « Le vent noir » et Gaspard Hons : « Ritte » aux Éditions Estuaires, Collection 99 ; présentation Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 4.1.2007
Giulio-Enrico Pisani