Kultur

Nouveaux livres de chez nous

Romans, poésie, littérature classique, livre de cuisine, caricatures

Dans le cadre de ma présentation du premier roman de Claude Schmit, La tristesse du hibou, j’avais déjà exprimé mes avis positifs concernant l’écriture et le contenu de la veine romanesque de l’auteur. Ancien directeur des Jeunesses Théâtrales, collaborateur auprès de la radio 100,7 Claude Schmit publie aux Editions Phi (www.phi.lu) son deuxième roman sous le titre Elle dit seulement viens ! Cette histoire d’un couple est une quête philosophique et existentielle de haut niveau qui peut se lire à divers degrés, suivant les affinités électives du lecteur avec la sensibilité du philosophe Claude Schmit, ou suivant ses capacités intellectuelles. Rien de plus banal lorsqu’un couple vieillissant s’installe ailleurs, par exemple dans ce roman, sur les rivages du lac de Constance, en face de l’île de Mainau, pour enfin profiter d’une retraite douce et si possible heureuse. Mais Lilli, l’épouse disparaît. Lilli laisse néanmoins à son mari Markus une sorte de lettre d’adieu, le remerciant pour ces quarante années de vie commune. Elle lui écrit textuellement que sa vraie vie désormais se déroulerait ailleurs. En prenant connaissance des autres propos qui émaillent la lettre de son épouse, Markus ressent un malaise grandissant : « Otons à la mort son étrangeté, n’ayons rien si souvent en tête que la mort, comme les anciens Egyptiens qui, au milieu de leurs festins et parmi la meilleure chère, faisaient apporter l’anatomie sèche d’un corps d’homme mort, pour servir d’avertissement aux convives. Attendons la mort partout, regardons-la en face en permanence. Markus, apprends à mourir et tu seras libre ». Ce roman est une brillante quête philosophique sur les traces de cet ailleurs d’où l’on ne revient jamais que nous franchirons tous et toutes un jour ou l’autre.

C’est également chez Phi que vient d’être publié le nouveau roman de Carla Lucarelli sous le titre Carapaces. Ce roman nous offre une multitude de personnages, de situations, nous permet de sonder, avec l’auteur, la psyché de la société contemporaine, avec ses faiblesses, ses atouts, ses dérives, ses folies. Carla Lucarelli possède un talent évident, même si, je le considère comme un peu froid, ne permettant malheureusement pas une identification intense avec les personnages mis en scène. Toutefois ce roman est à découvrir pour bien des raisons. Connaissez-vous Marie-Pierre Bourgrain, cette femme de cinquante-huit berges qui a oublié aujourd’hui ce que c’est que de se sentir belle et désirable, cette femme qui se rend soudain compte qu’elle est périmée, inapte à la séduction ? Saviez-vous qu’Hélène et Georges Denicourt, les parents d’Ariane, vaquent à leurs occupations, sans même savoir que leur fille vient de faire une fugue ? Et quelle est donc loufoque cette accusation comme quoi vous vous seriez introduit, de nuit, dans la propriété du voisin pour aller égorger ses lapins !

J’ai passé beaucoup de temps agréable et enrichissant à feuilleter, découvrir, lire, l’ouvrage exceptionnel de Willy Allamano et Gilbert Bernardini, publié sous le titre Esch-sur-Alzette et ses rues/ Esch an der Alzette und seine Straßen, une publication en deux langues. Les rues d’une ville et leurs noms sont toujours en partie un reflet de l’histoire de cette ville. Dans cette publication, pour les rues dont le nom a été attribué en hommage à une personne, une brève biographie est proposée avec, le cas échéant, le relevé de ses mérites et ou de ses œuvres. Les textes de ce livre sont le fruit d’un travail et de grands efforts communs commis par les deux auteurs, auteurs qui se sont inspirés de nombreuses sources, ont effectué des recherches solides. Les rues d’Esch-sur-Alzette, certaines nous les avons parcourues, nous avons seulement entendu le nom d’autres, le plus grand nombre nous sont inconnues. Aujourd’hui elles n’ont plus de grands secrets pour nous. Cette publication est disponible dans les bonnes librairies. Il est également possible de contacter les auteurs : allawi33@live.de/ berngi@pt.lu.

De Cliärfer Kanton (www. dck.lu/ mail@dck.lu/ Tél. : 92.03.24) a publié récemment une édition spéciale sous le titre 900 Jahre Burg Clerf. Ce numéro nous permet de découvrir le château de Clervaux au fil du temps, des époques, voir des saisons. Les contributions de ce numéro spécial sont de la plume de spécialistes, d’historiens, d’amoureux de ce château qui s’inscrit avec bonheur dans le paysage de nos Ardennes. Au fil des pages, nous retrouvons ou découvrons divers talentueux artistes photographes ou artistes peintres qui rendent hommage à la vieille Dame. Ainsi, ont participé à ce numéro : Lex Jacoby, Léon Braconnier, Victor Kratzenberg, René Maertz, Emile Erpelding, H.A. Reuland, Raymond Schaack…

Auteur et acteur, la vie de Luc Spada (www.lucspada. com) oscille entre Luxembourg et Berlin ou, si vous préférez, Berlin et Luxembourg. Son talent le conduit à jouer également régulièrement en Suisse et en Autriche. Abführung der lebenswichtigen Mittelmäßigkeit, le second livre de l’auteur a été publié aux Editions Guy Binsfeld (www.editionsguybinsfeld.lu). La prose de Luc Spada est un long cri, le cri de toute une génération, celle des 20-30 ans d’aujourd’hui. La langue est acérée, violente, virulente, déjantée, biscornue. Les histoires sont brèves, percutantes. L’écriture est vive, vivante, d’une grande fraîcheur intellectuelle, directe, brute, parfois brutale. On sent, au niveau du style, l’homme de théâtre qui a écrit ces jets littéraires. On aime, ou on n’aime pas. J’ai aimé. L’auteur tangue d’un thème à l’autre, rapidement, ses mots éclatent à la figure du lecteur et lorsqu’ils atteignent son cerveau sont autant de feux de Bengale. Les thèmes sont : la maladie, la mort, les dépressions, l’abus de médicaments…

Le roman Gregor und die Anderen, publié chez E-Publi Berlin (www.epubli.de) est le fruit d’un travail d’écriture de la classe de 12e CG de l’Atert-Lycée de Rédange-sur-Attert. Les élèves ont décidé de signer ce roman exceptionnel du pseudonyme Duzieme Zegee. Avec ce livre, Manuel Bissen, professeur à l’Atert-Lycée en est à sa seconde expérience d’écriture d’un livre commise par ses élèves. Qui est Gregor ? Un personnage qui sort du commun, au caractère complexe, à la psychologie mouvementée. Gregor est à ce point perturbé sur le plan psychologique qu’il critique à l’aide d’un cynisme insupportable les autres personnes, les événements. Manuel Bissen a organisé le squelette du personnage pour ses élèves, avec quelques traits prédominants de son caractère. Ensuite, les élèves, en groupes, ont écrit les chapitres, défini l’espace dans lequel vit et évolue Gregor. Gregor restera-t-il à jamais Gregor ou aura-t-il la capacité d’évoluer, de devenir autre, de devenir tout simplement !

Lucien Blau est un enfant du Bassin minier. Il passa son enfance à Dudelange, dans les méandres du quartier Brill, une zone où vivaient en majorité des familles d’ouvriers. Ce professeur d’histoire au Lycée de Garçons d’Esch-sur-Alzette, auteur d’un premier volume de ses souvenirs d’enfance, publié sous le titre Mam Schucos-Auto an den Zinema Royal aux Ultimomondo (www. umo.lu), propose aujourd’hui un second volume de ses souvenirs, non plus de ses souvenirs d’enfance, mais de ses souvenirs de jeune rebelle. Ce second opus des mémoires de Lucien Blau a été publié chez le même éditeur sous le titre Mat der Döschewo bei de Mao Tse-Tung. Il a, au cours de sa jeunesse turbulente, participé à la grande grève d’étudiants de 1971, rendu ses professeurs dingues, vécu des turbulences de tous genres, redécouvert ses racines italiennes, connu une phase hippie lors de laquelle il a fréquenté assidument les discothèques. Lucien Blau, enfant parfois sage de la scène littéraire luxembourgeoise, mais aussi enfant terrible à ses heures.

La poésie de Pol Schmoetten est un univers à travers lequel je vous invite à vous perdre, un univers dense, profond, vertigineux, passionnant. C’est aux Editions Guy Binsfeld (www. editionsguybinsfeld.lu) que vient d’être publié son recueil Im Nachtpark, un volume divisé en sept cycles poétiques, comportant un total de 80 poèmes qui explorent les forêts intimes de l’auteur, les clairières de l’âme humaine aussi. J’ai savouré un grand nombre des poèmes du recueil, contemplatif parfois, admiratif souvent. Le plus bel hommage que je puisse rendre à l’auteur et à son nouveau recueil serait de vous donner à lire l’un de ses poèmes, par exemple, farben, extrait du cycle Gefangen im Wort (la poésie de Schmoetten ne comporte ni ponctuation, ni majuscules) : farben : geben blumen den schmetterlingen / ihre farben die sonst grau durch gedanken / taumeln oder spiegeln sie vor / weil du fürchtest endeutiges wort / als ob weiß / das papier fades grau / in grau gegittert / dass die worte nicht fallen / in die grube aus der sie / mühsam geklaubt / denn aus freien stücken gibt keines / sich hin und läßt sich allein stellen / zu ungeliebten nachbarn zu spielen / ein sinnvolles sein / stellvertreter vielleicht dritten grades / schein vom schein des scheins / und fad nicht so wie du / schwarz.

Les Editions Revue (www .revue.lu) viennent de publier Karikatour 2013, d’Joer an der Pressezeechnung de Carlo Schneider. Carlo Schneider possède la faculté et le talent de réaliser des dessins de presse expressifs qui sont autant de kaléidoscopes de la société luxembourgeoise. Il passe au crible fin bien des aspects de la vie politique, sociale, culturelle, etc. de notre pays. Il fait de sacrés pieds de nez aux uns et aux autres, dissèque les comportements particuliers, les dérives, en quelques traits réussis. Il règle aussi des comptes avec l’église, l’imbécilité, la médiocrité. Chez le même éditeur vient d’être publié Das Revue Kochbuch N° 2, 60 Rezepte zum Nachkochen - Vorspeisen - Hauptgerichte - Desserts. La rédaction de ces recettes qui bien souvent vous mettront l’eau à la bouche sont de Jessica Heitz et Beatrix Binder. Les recettes proposées dans cette publication, illustrée à l’aide de très belles photos, ont été concoctées par des femmes et des hommes de notre pays. Ainsi, grâce à ce livre, chacun et chacune pourra s’identifier aux passions culinaires luxembourgeoises et réaliser à son tour les recettes qui l’invitent à passer à table.

J’ai découvert avec beaucoup de satisfaction les deux nouveaux volumes publiés par le Centre National de Littérature (cnl@cnl.etat.lu/ www.literaturarchiv.lu) dans la collection Lëtzebuerger Bibliothéik : Le diable aux champs, une simple histoire, de Nicolas Ries ; Roman eines Lebens, d’Albert Hoefler. Si le roman d’A. Hoefler est une satyre littéraire mettant en scène bien des pans de l’époque où il se déroule (1909 - 1939), grâce auquel sont passés au crible de la conscience et de la morale bon nombre d’écrivains et intellectuels luxembourgeois de l’épo-que, Nicolas Ries a mis en scène le monde rural de son temps. Le diable aux champs, une simple histoire, a été publié une première fois en 1936 aux Editions des Cahiers luxembourgeois. Ce texte de Nicolas Ries a été couronné du Prix de l’Alliance Française. En lisant ce roman, vous vous rendrez bien vite compte que l’auteur éprouvait un attachement profond à la terre, à la campagne, à la vie à la ferme, aux exploitations agricoles. La vie au village est décrite de façon claire, poétique, sincère. S’élèvent des voix au fil de l’œuvre, celles de personnages qui deviennent bien vite attachants, à l’instar de Toinette, tiraillée par son amour de la vie à la campagne et les tentations de la vie mondaine. Mais qui sont donc ces diables aux champs. Ces diables sont toutes ces machines, comme les faucheuses, faneuses, batteuses-lieuses, tracteurs en tous genres qui ont remplacé progressivement les ouvriers agricoles. Ce roman fort, beau, qui colle à la terre, se doit d’être redécouvert. La publication est présentée et commentée par Jacques Steffen.

Gilles Ortlieb a passé un nombre important d’années de sa vie au Luxembourg. C’est aux Editions Finitude (www.finitude.fr) que vient d’être publié son nouveau texte sous le titre Vraquier. Après Sous le crible et Le train des jours, ce texte est le troisième volume du journal de bord de l’auteur publié chez le même éditeur. Ce texte est un conte contemporain, fait de bourrasques, d’arc-en-ciel, de découvertes nombreuses et infinies. L’auteur se ballade, en train, d’espace en espace, toujours heureux d’observer, ceux et celles qui voyagent, les choses qu’il voit, sent, goûte, découvre. Le voyage auquel nous convie Gilles Ortlieb est composé d’une multitude d’imprévus, de moments intenses : la vie file sous nos yeux de lecteurs conquis par un style particulièrement riche, par une vision toute poétique des choses, même des plus simples et des plus laides. Dans ses déplacements en train, en navettes régionales, en bus et autres moyens de transport en commun, Gilles Ortlieb observe méticuleusement des arrière-cours miteuses, des jardins potagers, des terrains vagues. Nous assistons à des scènes inoubliables. En parallèle à ces instantanés sont ravivées des anecdotes diverses. Ce texte est beau, très beau.

Michel Schroeder